Il y a quelques semaines, le gel de la banquise en face du centre-ville de Rimouski et du Bic a précipité l’installation des villages de pêcheurs sur glace. Ils y resteront jusqu’au début mars selon les conditions météorologiques. Construction singulière par son aspect mobile et sa fonction, la cabane de pêche blanche est une manifestation emblématique et insolite de la nordicité.

Au Québec et au Canada, la pêche hivernale a d’abord été pratiquée à des fins de subsistance avant de devenir récréative. Au début elle était pratiquée de manière plus individuelle, mais elle s’organise au courant des années 1960, 1970 et 1980 selon les régions. C’est d’abord au Saguenay et en Mauricie que cette tradition s’est installée. En Mauricie, en 1938, un certain Eugène Mailhot découvre la présence de poulamons dans la rivière Sainte-Anne en découpant un bloc de glace pour sa glacière. Des cabanes seront par la suite construites par les habitants des alentours.

Au Bas Saint-Laurent et en Gaspésie, la pêche blanche sur le fleuve Saint-Laurent est beaucoup plus récente : elle aurait commencé vers le début des années 1990. À l’embouchure de la rivière Rimouski, c’est l’année 1998 qui semble être charnière. On attribue cet engouement à un homme qui se serait rendu pêcher sur la banquise ce qui aurait ravivé l’intérêt des Rimouskois et Rimouskoises. Cependant, dans un article du journal Le Soleil, une dame se remémore que dans les années 1930 à 1950, la pêche sur glace était pratiquée à Rimouski. Elle explique cet arrêt par un glissement de terrain, probablement l’éboulis de Sainte-Odile, qui aurait rendu la rivière impropre à la pêche sur glace en compromettant la frayère d’éperlans. Cette activité serait ainsi tombée dans l’oubli pour ne revenir qu’à la fin des années 1990. La reprise inattendue est fulgurante :  dès les premières années, entre 90 et 150 cabanes de pêche prennent nouvelle adresse à l’embouchure.  Un golf s’installe même sur la banquise pendant quelques années et il semble y avoir des rumeurs de festival de l’éperlan. Pendant cette même période, la pêche hivernale semble cependant menacée pour des raisons de sécurité et de propreté. Des tensions auraient même occasionné l’apparition de deux villages de pêcheurs distinct sur la banquise! Depuis, le village s’installe toujours sur les glaces lorsque les conditions le permettes.

Il est difficile de connaitre l’histoire des cabanes de pêche puisqu’elle semble n’avoir fait l’objet d’aucune étude en architecture ou en histoire. Les chercheurs semblent préférer l’étude de l’équipement du pêcheur et de la pêche sportive en été. Toutefois, ces structures, points de couleur sur fond blanc immaculé, ont été photographiées à maintes reprises. Les photographes voient en elles un phénomène singulier ancré dans l’identité des habitants de régions nordiques, ainsi qu’une manifestation d’esprit de communauté et de recherche de lien avec le territoire. Ces projets, dont vous retrouverez plusieurs liens à la fin de la chronique, nous permettent de voir la diversité des cabanes et leurs similitudes.

Sans être capable de retracer l’origine de ces cabanes, on note la présence d’abris éphémères le long de certains ponts de glace au 19e siècle comme celui du pont de glace entre Québec et Lévis. De même, en observant les photographies anciennes des villages de pêche sur glace, on remarque que ces abris semblent avoir peu changé à travers le temps. En effet, la cabane de pêche répond toujours à la même fonction, celle d’être un abri de base. Ainsi, il est possible de dégager trois caractéristiques fondamentales de la cabane liée à sa fonction. La première est qu’elle doit être mobile, donc assez petite et légère, mais permanente afin de pouvoir la réutiliser chaque saison. On note d’ailleurs la présence de roulotte convertie en cabane de pêche sur plusieurs cours d’eau. Ensuite, la cabane de pêche doit offrir une protection suffisante contre le froid pour permettre de passer plusieurs heures sur la banquise de façon confortable. Un petit poêle ou une chaufferette meublent souvent les abris. Finalement, afin de pouvoir pêcher, le plancher de la cabane comporte une ou des ouvertures sur le sol. Ces éléments influencent le choix du type de matériaux qui est souvent porté vers le bois, la tôle ou encore les plastiques. Le mot d’ordre semble être la réutilisation de matériaux. Plus récemment, il est possible d’acquérir des tentes portables de pêche en quincaillerie.

L’apparence de la cabane est généralement celle d’une maison simple et réduite en taille. Les toits peuvent être plats, mais sont plus souvent dotés de diverses pentes leur donnant des silhouettes de maison. Toits à un ou deux versants sont les plus communs, mais on aperçoit aussi des toits à la Mansart ou encore asymétriques. Ceux en pavillon, à croupe et à 4 versants sont peu ou pas présents, probablement en raison de leur niveau de construction plus complexe qui n’a pas vraiment de plus-value. Les cabanes sont généralement construites sur un plan rectangulaire ou cubique puis décorées au goût des propriétaires. Aucun règlement municipal n’encadre les couleurs permises, ce qui laisse de la latitude pour les pêcheurs créatifs. Elles comportent bien sûr une porte et souvent une ou plusieurs fenêtres. L’installation intérieure de la cabane peut être plus ou moins complexe selon sa superficie. Certains n’y installe qu’une chaise et d’autres y mettent cuisinette, lit et fauteuils.

L’organisation des cabanes de pêche sur la banquise est le plus souvent aléatoire comme à Rimouski. À certains endroits cependant, elles sont organisées en quadrilatère, créant des rues de circulations avec des patinoires ou encore des lieux de rassemblement.

Pour les curieux, il est encore temps d’aller s’y promener : le village de pêche sur glace va encore être sur la banquise pour plusieurs semaines avant de disparaitre comme il est apparu.

Projets artistiques en lien avec les cabanes de pêches :

Image 1: Cabanes de pêches sur glace. Rimouski. Hiver 2019. Sabrina Gendron.

Image 2: Eugen Haberer. Les événements de la semaine. L’Opinion publique Vol. 11, no 50 (9 décembre 1880).https://cap.banq.qc.ca/notice?id=p%3A%3Ausmarcdef_0002743140&Lang=FRE

Sources :

Bernatchez, Paradis, Brisson-Bonenfant et al. « Portrait de la pêche hivernale au Québec : historique, gestion et perspectives ». Le naturaliste canadien. Vol. 144, no. 2, automne 2020.

Du golf sur la banquise à Rimouski » Le Soleil, 8 mars 2011. P.A3 https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2897163?docsearchtext=p%C3%AAche%20blanche%20rimouski

« La Banquise prise d’assaut ». Le Soleil, 8 mars 1999. P. A3. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2932907?docsearchtext=p%C3%AAche%20blanche%20rimouskila

« Cabanes de pêche emportées par les glaces » Le Soleil, 24 mars 1999. P. A4. https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2933032?docsearchtext=p%C3%AAche%20sur%20la%20glace%20rimouski