Avec le début des classes du mois dernier, nous avons décidé de nous pencher sur patrimoine bâti scolaire. L’architecture des écoles a évolué avec les différents courants pédagogiques que l’on croyait favoriser l’apprentissage, ainsi que les règlements et réformes régissant le système scolaire.

Avant la deuxième moitié du 19e siècle au Québec, le portrait scolaire est assez varié. Un grand nombre d’enfants et d’adolescents ne sont pas ou peu scolarisés et apprennent en milieu familial. En ruralité, on retrouve les fameuses écoles de rangs qui étaient composées, le plus souvent, d’une ou deux salles de classe pour les enfants de tous âges et du logement de l’institutrice ou de l’instituteur. L’École de l’Anse à Notre-Dame-du-Portage et l’École Delisle à Rivière-Ouelle en sont des exemples toujours debout. Plusieurs élèves suivent des cours spécialisés dans les logements privés de leur tuteur ou dans des locaux loués à l’occasion, tels que des sous-sols d’église.  On retrouve également les collèges classiques, les séminaires et autres écoles administrés par des congrégations religieuses. Le premier Séminaire de Rimouski est d’ailleurs fondé en 1862. Les communautés religieuses enseignantes des Sœurs de Notre-Dame du Saint-Rosaire et les Ursulines arrivent respectivement en 1879 et 1906 à Rimouski. De même, l’école des Beaux-séjours de Sainte-Odile est bâtie en 1910 et celle des Frères du Sacré-Cœur (Ateliers Saint-Louis) l’est en 1924. Ainsi, l’architecture scolaire de cette période s’inscrira énormément dans celle religieuse et conventuelle.

Les plans des bâtiments sont simples, habituellement avec une unique grande porte en façade, avec les classes et les bureaux situés de part et d’autre d’un corridor traversant le bâtiment. Lorsque l’école se fait pensionnat, elle est aménagée pour être également un lieu de vie avec de vastes salles-dortoirs, souvent dans les étages supérieurs. La cafétéria se situe généralement au premier étage et la cuisine au sous-sol ou près du réfectoire. L’école est un lieu d’encadrement physique et moral, et cela transparait dans l’architecture, avec l’allure austère et imposante des façades. Il est possible de penser ici à l’École des Frères du Sacré-Cœur, ainsi qu’à l’École moyenne d’agriculture, respectivement sur la rue de l’Évêché et la rue Saint-Jean-Baptiste à Rimouski. L’École moyenne d’agriculture (1922) s’inscrit dans le développement du réseau scolaire, visant notamment à offrir une éducation aux personnes ne se destinant pas aux études universitaires ou n’en ayant pas les moyens. Les écoles qui ouvriront enseigneront des domaines qui sont foncièrement liés au développement économique de la région. Elles assiéront la position de Rimouski comme pôle régional étudiant et de services. Ainsi, l’École Arts et Métiers (1936) et celle de commerce (1944), aujourd’hui Cégep de Rimouski, l’École de Marine (1943), aujourd’hui l’Institut maritime du Québec (IMQ), ouvrent dans cette même vague. Jules A. Brillant, homme d’affaires rimouskois, contribua de manière importante à leur fondation, souhaitant employer du personnel qualifié dans ses entreprises. À ces écoles s’ajoute l’Institut familial (1941) devenu la résidence pour personnes âgées le Manoir Les Générations et les écoles normales de la région.  À ce jour, l’ancienne École moyenne d’agriculture, tout comme l’École des Frères du Sacré-Cœur sont inoccupés depuis de nombreuses années, menant à leur dégradation progressive.

Au courant du 20e siècle, la tendance fonctionnaliste (pensée selon laquelle la forme d’un bâtiment doit être exclusivement adaptée à sa fonction) de l’architecture moderne, ainsi que la réforme de l’éducation viennent modifier l’architecture scolaire.  Dans les années 1940, on rend l’école obligatoire jusqu’à 14 ans et gratuite et on crée le ministère du Bien-être social et de la Jeunesse, ce qui initie une grande campagne de construction d’école. Suivi de près par le baby-boom, le phénomène s’intensifie. Le modèle des écoles de rangs disparait aux profits des écoles publiques des villes et villages. Les classes contiennent parfois plus de 50 élèves. En même temps, les recherches en pédagogies entreprises dans les décennies précédentes s’approfondissent, ce qui fait en sorte de standardiser les normes de constructions et de donner plus d’espace aux élèves. Les fenêtres deviennent beaucoup plus grandes et l’éclairage artificiel se démocratise. Dans les années 1950, on a tendance à séparer dans des bâtiments différents les salles administratives des salles de classe et des salles spécialisées. La plupart des écoles primaires et secondaires de Rimouski sont construites durant cette période, comme les écoles Saint-Yves (1951-1952), Sainte-Agnès (1960-1961), Élisabeth Turgon (1957), l’Aquarelle (1951), Langevin (1957), Saint-Jean (1959) et L’Estran (1957). Ces écoles abritent également le logement des communautés religieuses qui y enseignent. Plusieurs d’entre elles sont construites par des architectes de renom, dont Edgar Courchesne, Firmin Lepage, Gaston Martin, ainsi qu’Albert Leclerc, qui avait entre autres planifié et dirigé les travaux de reconstruction après l’incendie de 1950.

Les recommandations du rapport Parent de 1964 vont avoir un impact sans précédent sur le système d’éducation québécois. L’école est dorénavant obligatoire jusqu’à 16 ans, les niveaux scolaires tels qu’on les connait sont implantés et le ministère de l’Éducation est créé pour assurer la gestion de l’éducation par l’État, et non plus par les institutions religieuses. Ces éléments mènent à la création des polyvalentes, ces vastes écoles combinant formation professionnelle et générale.  Phénomène déjà commencé, on se distancie du traditionnel bloc rectangulaire pour créer des plans à l’architecture labyrinthique et aux formes inusitées créant de nouveaux espaces de rassemblements pour les élèves. On souhaite des écoles pouvant s’adapter aux exigences changeantes de la pédagogie. L’art prend une plus grande place et le béton est de plus en plus utilisé, autant comme élément décoratif que structurel. L’École secondaire Paul-Hubert, construite en 1964 selon les plans de l’architecte Edgar Courchesne, et ayant plus que doublé de superficies en 1968, sera officiellement identifiée comme polyvalente en 1970. À son apogée, elle a accueilli près de 4 000 élèves. Puisque la polyvalente prône l’aire ouverte, ce qui créer des difficultés au niveau de l’apprentissage, elles seront largement modifiées par la suite. Comme témoin de cette philosophie, certains des murs mobiles sont toujours présents dans ces écoles. Les cégeps sont créés dans la même période et remplacent les collèges classiques.  Plusieurs d’entre eux vont continuer d’habiter les mêmes lieux, ce qui explique pourquoi nombreux sont ceux qui sont dans d’anciens séminaires ou couvents. Pensons notamment aux cégeps de Rimouski et de La Pocatière. Devant cette nouvelle masse de personnes ayant accès à l’Université, le système public d’Université du Québec est développé. En 1969, l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) s’installe dans l’ancien monastère des Ursulines. Cette même année, uniquement dans les régions du Bas-Saint-Laurent et de Gaspésie-île-de-la-Madeleine, 9 établissements scolaires sont créés. Ce nombre s’ajoute aux écoles qui sont agrandies et rénovées en convertissant les logements des religieux.se enseignant.es.

Dans les années 1970, la hausse de la population diminue et le Québec se retrouve avec un surplus d’écoles qui ne répondent plus forcément aux normes. On voit alors le premier mouvement de démolition, vente et fermeture, mais aussi de rénovation et de reconversion. En 1980, un épisode un peu singulier voit le jour avec le déménagement de l’École Monseigneur Léonard de Sainte-Agnès pour agrandir l’école qui est aujourd’hui le Pavillon d’amour de l’École des Beaux-séjours. Il faudra séparer l’école en trois sections et la faire passer par-dessus le pont ferroviaire, tout en se coordonnant avec le passage des trains.

Aujourd’hui, devant les critiques d’école peu conviviale et la nécessité d’en construire de nouvelles en raison de la nouvelle augmentation de population, des groupes de chercheurs se penchent sur le sujet, tels Schola et le Lab-École. On souhaite des écoles inspirantes, ergonomiques, vivantes et flexibles.

En plus d’être des témoins matériels de l’évolution du système scolaire québécois et des courants pédagogiques, de par son importance visuelle, l’école est un repère nous permettant de se situer et de structurer sa perception du cadre urbain. L’école est au cœur d’un quartier, comme les autres lieux de rassemblements, et un fort sentiment d’appartenance y est lié à cause des souvenirs de jeunesse qui y sont associés.

Sources :

Continuité. Dossier L’école : un patrimoine à reconnaître. No. 102. Automne 2004.

Collectif. L’architecture moderne des établissements de la commission scolaire de Montréal. Sous la dir. de Claudine Deom. Université de Montréal. 2018. [en ligne] https://www.cssdm.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/Architecture-moderne-etablissements-csdm.pdf

Basil, Soraya; Crevier, Yvon et Lachapelle, Jacque. Un processus de conservation du patrimoine bâti scolaire. SCHEC, Études d’histoire religieuse, 71 (2005), p.51-65 èn ligne] https://www.erudit.org/en/journals/ehr/2005-v71-ehr1825658/1006611ar.pdf

Circuits Rimouski; guide des circuits. Société rimouskoise du patrimoine. 2018. 127 pages.

Commission scolaire des phares. Nos écoles, un patrimoine vivant! 2005. Rimouski. [en ligne] https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/3988416?docref=0xPYYFvrXTRK2pyeZGLhpg

Images:

École de l’Annonciation (Aujourd’hui École de l’Estran) | Fonds Lorenzo Michaud | 1959-1975 |   Collection Société rimouskoise du patrimoine | SRP-2021.5.7