Chronique architecturale | Récit de lèche-vitrine
Pour le temps des fêtes, la Société rimouskoise du patrimoine organise Récit de lèche-vitrine, un circuit éphémère dans les vitrines d’entreprises situées sur les rues Saint-Germain et Cathédrale. C’était l’occasion de nous pencher sur l’histoire commerciale du centre-ville de Rimouski et sur les traditions de Noël qui y tenaient place !
Au tournant du 20e siècle, on retrouve les magasins généraux typiquement dans les milieux ruraux. Souvent tenu par plusieurs générations d’une même famille, il est possible d’y retrouver tout le nécessaire (vêtements, aliments, matériaux, quincaillerie, etc.). Originellement, les propriétaires habitaient eux aussi dans l’édifice. À leur construction, les magasins H. G. Lepage et Couillard & Fils étaient des bâtiments à deux et trois étages à la Mansart. Dans la ville, il reste peu d’édifices ayant été occupés par ces magasins, puisqu’ils ont été soit démolis ou grandement transformés. Tout de même, le magasin général d’Albert Michaud, situé au 188, rue Évêché Ouest, possède encore son volume. Au tournant du 20e siècle, la fête de Noël est peu fêtée en comparaison au Jour de l’an. Le magasin général étant un lieu de rencontre : on peut facilement s’imaginer les discussions autour des visites et du menu pour les festivités.
Avec le développement du chemin de fer, une plus grande diversité de produits est disponible à Rimouski, ce qui permet aux magasins de spécialités d’ouvrir. Ce mouvement suit aussi la spécialisation des professions. Bijouteries, quincailleries, boutique d’articles de sport et pour enfants s’installent à partir des années 1930. Un souffle nouveau arrive également à Rimouski dans le secteur entrepreneurial après l’ouverture de l’École de commerce en 1944. Ces boutiques sont situées dans une diversité de bâtiment, parfois des maisons anciennes, parfois des bâtiments destinés à la vocation commerciale. Les fenêtres du premier étage prennent de la largeur pour montrer la marchandise et attirer les clients. De même, les enseignes ornementées et de plus en plus grandes se mettent à peupler les rues. Ces éléments contribueront à l’animation des artères centrales et à donner du caractère aux centres-villes.
Après la Seconde Guerre mondiale, on assiste à la montée de la société de consommation, poussé par le modèle américain. Les prix des biens chutent grâce à l’industrialisation et aux nouvelles techniques de fabrication. Pour de nombreuses personnes, cela signifie un pouvoir d’achat plus grand. On promeut une vision de la consommation comme symbole de réussite sociale. Le modèle du magasin général, qui fonctionnait souvent à crédit et dont les prix fluctuaient parfois dépendamment de l’acheteur est délaissé : les prix sont maintenant affichés et stables. Les grandes chaines de magasins en formule magasin à rayons ou 5-10-15 (5,10 et 15 sous), ancêtre des magasins à 1 dollar, arrivent à Rimouski dans les années 1950.
À cause du feu de 1950, ils s’installent dans une ville aux bâtiments modernes et adaptés à la vocation commerciale (style boomtown, art déco ou encore moderne). Les chaines sont alors concentrées sur la rue Saint-Germain Ouest, fraichement rebâtie et beaucoup plus large, ce qui attire les automobilistes des alentours. Il est possible de nommer Woolworth’s à l’emplacement de la Librairie l’Alphabet, Zellers à celui de Poste Canada, Handy Andy au Presse Café, People’s store dans le bâtiment du Kirhalla chaussures et United au Gendron sport. Des versions locales des magasins à rayons sont aussi développées et vont peupler le côté est de Saint-Germain, par exemple J.E Thibault, le bâtiment qui est aujourd’hui le Thai Express et J.E. Santerre dans le Gymnasyum. Cette période est celle où les arrangements des vitrines des magasins deviennent de plus en plus élaborés et populaires. Les boutiques les adaptent au moment de l’année. À Noël, c’est lumières, personnages, parfois mécanisés et neige artificielle en plus des beaux objets et jouets mis en vente. Au magasin Verreault qui fait le coin de la rue Cathédrale et Saint-Germain, ce sont deux façades entières qu’on décore pour Noël. L’arrivée du Père-Noël au People’s store attire les foules qui font la file de la rue Cathédrale jusqu’au magasin situé dans le bâtiment du 106-112, rue Saint-Germain Ouest.
C’est dans la volonté de revitaliser le côté est de Saint-Germain que le premier centre commercial de Rimouski, La Grande Place, est inauguré en 1969. Le développement des banlieues amène à la création des centres commerciaux. En effet, le concept est développé dans l’optique de créer une ambiance de rues marchandes décentrées du centre-ville. La Grande Place détonne alors des modèles standards. Construit traditionnellement avec des corridors intérieurs donnant sur des locaux de commerces, sans fenêtres et sur un ou plusieurs étages, les galeries marchandes sont alors très populaires. Au temps des fêtes, une programmation d’activités y est organisée en plus de décorations. On fait plusieurs heures de route pour s’y rendre et les files s’étendent jusqu’à l’extérieur des magasins. Progressivement, les acheteurs vont délaisser La Grande Place pour aller aux centres commerciaux situés à l’ouest de Rimouski.
Le patrimoine bâti commercial fait partie de notre quotidien, ce qui fait en sorte qu’il est souvent considéré comme moins important que les édifices aux vocations plus prestigieuses. Ces bâtiments sont toutefois d’autant plus parlants de l’histoire des localités qu’ils ont un aspect public et un attachement de la part des citoyen·nes. De plus, ces boutiques sont souvent liées à des personnalités, propriétaires et employé·es, piliers de quartiers, sur des dizaines d’années. La pérennité de ce patrimoine commercial dépend alors beaucoup des propriétaires, commerçant·es et entrepreneur·es qui occupent ces lieux. Nous tenons donc à souligner leur apport dans la conservation du patrimoine bâti de Rimouski, qui, tout en améliorant la qualité de vie et l’attractivité du centre-ville, permet d’envisager la cadre urbaine de Rimouski comme un ensemble.
Image: Rue Saint-Germain Est, Rimouski. Vers 1960. J.-Gérard Lacombe. Fonds Alain Ross. Collection de la Société rimouskoise du patrimoine.
Bibliographie
BOURDAGES Jeannot, et al. Rimouski depuis ses origines. Société d’histoire du Bas-Saint-Laurent et Société de généalogie et d’archives de Rimouski. 2006. 409 pages
Continuité. Spécial Commerces. No. 11, Hiver 2006-2007.
Circuits Rimouski; guide des circuits. Société rimouskoise du patrimoine. 2018. 127 pages.
FERLAND Catherine. « Le magasin général, petite histoire d’une institution populaire ».juillet 2021. [en ligne] https://www.lepanierbleu.ca/blogue/le-magasin-general-petite-histoire-dune-institution-populaire
SIMMINS, Geoffrey et D. KALMAN, Harold. « Centre commercial ». L’Encyclopédie canadienne. Janvier 2008. [en ligne] https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/centre-commercial